Reporter-Photographe

Derrière les images

Covid19 : puisque je sers à rien, pourquoi aller quand même en reportage ?

04/04/2020

J’ai choisi jusqu’à présent de consacrer mon travail photographique à la documentation du travail de « servants d’état » de plein de métiers différents, dans plein de missions différentes et quasiment autant d’uniformes. Parce que ça fait sens à mes yeux, tout simplement.

De prime abord, quand le président français a annoncé le confinement total, la fille disciplinée que je suis s’est confinée : mon activité n’est pas essentielle, loin de là ! Je ne nourris personne, je ne protège personne, et je ne concours pas, même de façon très lointaine ou capillotractée, à soigner des gens ! Je ne sers à rien.

J’ai eu beau me rappeler cette discussion de l’année dernière avec une cliente et amie, Ludivine, qui s’était terminée par un véritable plaidoyer de sa part pour l’art et sa capacité à permettre aux gens de s’évader, de se projeter… Mon intime conviction, était tout de même cette inutilité notoire. Pour ceux qui ne le sauraient pas, je ne me considère pas comme une « artiste » et… je ne suis pas vraiment certaine que mon travail soit de l’ « art » -sorry Jean Michelin 🙂 –.
Et cela ne me pose aucun problème ! Tout cela sonne tellement faux comparé à la simplicité et à l’évidence de mon métier :
Raconter en images les histoires d’autres gens.
Rien que ça : c’est à la fois tout et pas grand chose.
Et moi je trouve ça super chouette.
Mais ça c’est pas vital. C’est vrai aussi.

Enfin quand même, pour l’histoire, pour demain, pour la Grande Histoire, celle qui sera écrite dans les livres, avec ses décideurs, sa chronologie et ses chiffres… et bien ça compte, un petit peu, ça permet de se représenter un peu mieux, de mettre des visages, des gens anonymes. Et, honnêtement, l’idée de « lâcher » ces gens que je suis et qui m’accueillent avec bienveillance, en tout temps, en tous lieux, depuis tant d’années, là, maintenant, en pleine crise… Au moment où quelque chose de vraiment important se jouait pour eux, et qui laissera probablement une empreinte durable dans leur vie.. Et bien il ne m’était pas très agréable de voir ma tête dans la glace le matin.

Les photographes sont sur le terrain et rendent visible l’invisible

Puis j’ai vu dans mon fil instagram les publications de Dimitri Beck qui repostait le travail de -très bons- photographes avec toujours ces mêmes mots en préambule « les photographes sont sur le terrain et rendent visibles l’invisible ». Je ne sais pas si mon œil a été retenu par la faute d’orthographe, mais cette phrase m’a interpellée. Et j’ai envoyé dans la foulée un mot à l’hôpital Bégin, pour suivre ses équipes durant cette crise. En me disant que ça ne passerait jamais : un hôpital en période d’épidémie, militaire qui plus est, et pour y passer du temps, vraiment, donc en autonomie… Même pas en rêve !

Mais si il ne devait y avoir qu’un endroit où j’avais une toute petite chance de ne pas être vue comme un charognard venu se repaître d’images glauques et du malheur des gens : c’était là, parce que j’y étais un tout petit peu connue. Parce qu’il y a deux ans, l’hôpital avait exposé mon reportage au temps long sur Sentinelles, et qu’à l’époque, j’avais souhaité faire quelques portraits des soignants de l’hôpital, pour les exposer à côté de mes soldats en noir et blanc.
Et j’avais fait ces portraits, et donc rencontré ces gens.
Et puis un jour, j’ai eu ce retour -inespéré- de Carole, l’officier communication de l’hôpital : c’était oui. Je n’en revenais pas, la direction de l’hôpital acceptait ma venue. Sur le temps long.

J’étais tellement convaincue d’avoir envoyé cette demande juste « pour ne pas avoir de regrets » que j’en avais oublié ce qui fait le socle de mon métier de photographe : préparer, anticiper, prévoir !! J’avais rien prévu ni préparé. Que dalle. Et puis les hôpitaux et moi, en vrai, on est pas super copains : moins j’y vais mieux je me porte, donc je dois bien le dire, je les connais pas bien. Trop peu pour faire un bon reportage dessus, donc. Je sais juste que ces dernières années à chaque fois qu’en suivant des secouristes j’arrivais aux urgences il y avait force panneaux et pancartes et brassards de grève. Et que -chose surprenante pour moi, parce que les manifestants, je crois que je connais un peu- j’y ai toujours vu des slogans réclamant des moyens pour l’hôpital et pas des augmentations pour le personnel (#DealWithIt ceux qui se mettent en grève maintenant… #OnVousVoit)

Mais je m’égare, l’hôpital, donc. Je connais le CHU Grenoble Sud, qui a récupéré à la petite cuiller la jeune iséroise aventurière que j’ai été, un trop grand nombre de fois. Que je me suis juré d’éviter ensuite, non pas parce que la bouffe est bof, mais parce que bon être jeune et conne, ça ne dure qu’un temps. Donc l’hôpital et les gens qui y travaillent, je vois ça de très, très, loin !! Et oui, je trouve ça cool qu’ils soient célébrés par les confinés à 20h tous les soirs, mais sans savoir réellement « Pourquoi ?! » en dehors de ce très théorique « ils se battent pour nous tous et essayent de sauver des vies »

Qu’à cela ne tienne, les militaires et moi avons au moins ce point commun là : anticiper tout ce qui peut s’anticiper… Et s’adapter au reste ! Va pour l’adaptation donc.
L’expérience m’a rendue pas trop mauvaise dans cet exercice.
Advienne que pourra…

Reportage sur le travail des personnels soignants et soutien de l’hôpital HIA Bégin durant la crise du Coronavirus.

Se montrer à la hauteur de l’engagement de ces gens

En vrai, je suis inquiète pour mes proches aussi, inquiète d’augmenter le risque pour eux d’être contaminés, par ma faute.. Même si je suis scrupuleusement les consignes de désinfection de l’affreux nounours Stéphane Bommert, que vous connaissez sans doute comme ce copain photographe d’action talentueux qui me branche à chaque fois qu’il peut, mais qui a aussi été infirmier en réa dans une autre vie ! Et même si les cadres et le personnel hospitalier sont aux petits soins pour moi et me donnent tous les moyens de travailler en sécurité (et oui, je culpabilise d’utiliser un masque FFP2 « pour rien » et ça m’a soulagée d’entendre le Padre de l’hôpital me dire qu’il ressentait cette gêne aussi hier matin #MerciPadre).

Mais ce qui compte vraiment : c’est que je suis honorée par la confiance qui m’a été faite. Et que je ne souhaite qu’une chose : m’en montrer digne, et être à la hauteur du travail et de l’investissement personnel de tous ces gens que l’on connaît de façon si lointaine !

#MerciAEux
#ToBeContinued

Prenez soin de vous, et de ceux qui vous sont chers … ces mots n’ont jamais été aussi pleins de sens, vraiment ! Et #RestezChezVous

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Je suis Sandra Chenu Godefroy, photographe spécialisée dans les reportages hors-norme. Rejoignez-moi derrière les images, au cœur de l’action ! Ici vous trouverez des photos commentées et leurs réglages, mes derniers reportages et des anecdotes, mais aussi, des making-of, des astuces et des conseils !

Sandra Chenu Godefroy, photographe indépendante

Sandra Chenu Godefroy

Photographe

Spécialisée dans les images de secours, défense, sécurité, et d’aéronautique. Fille sérieuse qui se prend pas au sérieux.

J’exploite honteusement Tigrou, mon assistant en peluche, et j’adore mon métier, même si c’est pas toujours facile !